vendredi 12 mars 2010

Well, I'm just a modern guy

Je suis un érotomane notoire, vous le savez tous. Quiconque a déjà passé un peu de temps avec moi le sait.

Beaucoup d’entre vous connaissent mes théories fumeuses sur le « métro love » ce jeu de séduction et de regards, lointain ou close contact selon votre heure de fréquentation des transports publics. Je sais d’ores et déjà que des notions telles que le touch point mental, le regard-reflet vitre détourné, la pose désinvolte et eyes motion switch que de nombreuses filles maitrisent bien n’ont plus de secrets pour vous.

Il n’ont plus de secrets pour moi non plus, et autant vous le dire, maintenant je m’ennuie. Je m’ennuie tant et si bien que je vais me mettre à lire de beaux et grands romans avec de la musique sur les oreilles, comme le font beaucoup de gens stupides. Et bien oui, comme tout le monde le sait, soit la musique est si bonne qu’elle procure une jouissance de chaque instant et le fil de la lecture est perdu, situation initiale, personnages, style littéraire et rebondissements nous échappent à tout jamais (un peu comme un Marc Levy au final). Soit la lecture est si bonne que la musique passe pour une sorte de soupe fade et insipide. Si en plus le son est écouté au travers de ces horribles écouteurs ipod, alors là c’est le pompon.

Comme je vous le disais, j’ai trouvé un nouveau jeu de dragouille : quand je descends sur le quai du métro, je remonte au maximum le long de la rame, afin d’épier les créatures par les portes en aluminium brossé du train encore entrouvertes. Suivant la marchandise je lance des regards, des sourires, des poses d’allumeur des eighties (ah les bonnes vieilles mains dans les poches arrières du jean…) dans le but de provoquer des réactions sans conséquences, car suspendues dans le temps durant les quelques secondes de l’exercice. Autant vous dire que celles-ci sont aussi révélatrices qu’anodines.

Dans 70% des cas aucun contact visuel n’est établi (Musso et le 20 minutes sont bien plus intéressants), les 20% restants confinent à l’indifférence. Vous l’aurez deviné chers lecteurs, les 10% en bas de bilans sont les plus intéressants. On peut empiriquement relever 7% de regard mateurs un peu intéressés, 2,5% de sourire ou autre forme de réponse positive (main dans les cheveux, coup d’œil scanneur haut-bas-haut,…) les 0,5% sont mon caviar personnel, mon nirvana de métro man, la part des anges souterrains. C’est la situation que j’appelle de « Home Run ».Quand les portes du métro se referment et qu’il part en te dépassant, il faut essayer de repérer les filles restées dans la rame qui te suivent du regard durant tout le long de leur dépassement.

Bravo ! Elle te matte en train de remonter le quai jusqu’à l’escalier de manière détachée et nonchalante en sachant pertinemment que tu l’a vue et n’hésite pas te dévorer du regard, rongée par le désir et la concupiscence! Certes, vous avez raison, ce jeu est lâche et stupide, les deux parties prenantes étant séparée par 5 centimètres d’aluminium et de plexiglas roulant à 30 km/h. Il est néanmoins fort distrayant, pour un aventurier du quotidien comme moi.

Et bien figurez vous, chers lecteurs, que de temps en temps la vie vous sourie et vous offre un joli combo 3 sourires de suite en provenance du train qui part et un providentiel "Lust For Life" de la part du shuffle de votre lecteur mp3.Ce moment est de ces instants magiques et terribles durant lesquels ciel et terre se confondent et entrent en harmonie transcendantale vous faisant reluire d'une dose d'égo testostéronée aussi irrésistible que capiteuse.

You litteraly are on top of the world my friend.

Ce fix de bien être pur, ces endorphines envahissant mes synapses et mes neurotransmetteurs embrumés a aussi provoqué en moi une vague de gratitude sans précédent envers l'iguane.
Oui, décidément, je devais chroniquer "Lust For Life" et ainsi rembourser ma dette auprès de mes lecteurs déçus et frustrés. C'est une des raisons pour laquelle cette chronique est si grasse et importante. Ce n'est pas un article, c'est une offrande destinée à être immolée sur l'autel d'une des divinités du rock'n'roll. Un héros vivant, mi-homme, mi dieu, le Hercule de Ann Arbor. J'ai nommé Iggy Pop.

Vous savez tous combien mes amis et moi nous vénérons ce rejet, ce grand ordonnateur du festin sonique torse nu. Iggy sort de l'affaire "The Idiot" par la grande porte: ses fans hardcore sont transis d'amour pour ce que les journalistes appellent à présent une œuvre. Le grand public n'a rien compris (comme d'habitude). Oui, décidément, en cette année 1977 qui voit le triomphe de ses fils spirituels, Iggy se sent bien. Il veut muscler encore le son, forcer le propos, partir dans toutes les directions créatives possibles. Aller s'ébrouer dans la pop et le disco ne lui fait pas peur.

Le thème est déjà tout trouvé, il sera la précepte qui a guidé Iggy depuis toujours : "Lust For Life" ou "La Luxure Erigée En Style De Vie" pour les plus francophiles d'entre vous. La décadence commencera dès le titre éponyme, primaire et bas de plafond, sur des accords pillés et volés, qui seront eux même cannibalisés par des australiens sans scrupules. La section rythmique du combo fait mal, c'est le fruit de Hunt et Tony Sales, deux frères livrant une section rythmique percutante su laquelle Iggy s'appuie et scande ses préceptes, parle alcool et drogue, chairs en sueur. Chroniques de la luxure quotidienne. Les petits chœurs totalement kitsch et jusqu'au boutistes sont justes parfaits.
Non content de chanter sa vie et ses mœurs baroques, il les fait déteindre sur des gamines de seize ans, devient fou devant leurs bottes en cuir, veut leur montrer des explosions viriles diverse. On aurait pu faire plonger une armée de Polanskis pour moins que ça.
Ce "Sweet Sixteen" , pas celui ci hein, prend toute son ampleur lorsque la cowbell débarque pour suspendre dans le temps Mr Osterberg et ses envies contre nature, il devient fou, fou d'amour et se damne, englouti dans un fade de guitares. Une croix de plus sur la crosse du cupidon des pervers désœuvrés. Si le son s'estompe à la fin de cette chanson ce n'est que pour revenir plus fort sur "Some Weird Sin". Comme à son habitude, la batterie débaroule, caisse claire devant. L'iguane prend du recul et s'analyse, hurle annone que tout ce qu'il veut c'est du péché étrange, du bizarre, il ne peut pas se retenir. Bref, du freakshow et rien d'autre.
Bien sûr mes enfants, ce registre n'a pas été inventé par Nikola Sirkis, lui et son érotisme androgyne tout droit sorti d'un design de boite à lunch genre Emily the strange.
Les attaques et le solo de guitare totalement écorché au beau milieu de la tourmente saura vous en convaincre.
Le loup a la patte coincée hurle, et meurt à son propre piège, comme David Carradine dans une chambre d'hôtel thaïlandais. Une toute autre chose que ce que pense votre tante lorsqu'elle entend la chanson suivant, non, ce n'est pas qu'une merde de Cookie Dingler lorsqu'elle entend les premiers accords de "The Passenger". Son rythme cadencé et ses accords empruntés au reggae nous trompent et se jouent de nous.
On a tous été ce voyageur, cette personne en trench-coat gris, sac en bandoulière et clope au bec. Juste de passage, incertain, hésitant au sujet de ce que l'on quittait et de ce que l'on allait trouver. Rien d'autre que cette chanson magnifique et nostalgique à laquelle se raccrocher, en comptant les arbres le long de la voie ferrée.

The Idiot et sa pop décadente a laissé des traces, "Tonight" commence sur des chœurs aussi grandiloquents que la mélodie et le rythme disco qui s'en suit. Iggy prend sa voix de crooner ringard, pour s'ériger en maitre de cérémonie au milieu de cette boum d'adolescents morts vivants.
Tout y est: le ton langoureux et le solo dégoulinant et interminable qui s'accroche aux branches.
Le travail de Ricky Gardner et Carlos Alomar, tout en précision tendue et piquante se ressent ici.
La chanson suivante "Success" (que d'aucun diront destinée à David Bowie ou à Elvis Presley) se moque gentiment du star system qui a toujours eu horreur des artistes portant parfois des jean en plastique transparent et s'entaillant la poitrine lors de concerts.
Tout cela n'est qu'un zoo, comme le dit Iggy, l'idiot est au final peut être pas celui qui le dit. La voix de l'Iguane se révèle sur "Turn Blue" et ses mélodies vocales travaillées entre murmures et cris. Sur cette chanson que l'on pourrait croire volée à Lou Reed, Iggy tutoie Jésus. La mélancolie et le spleen peut aussi tirailler les meilleurs d'entre nous, sur une orchestration qui irait presque tirailler The Dark Side of the Moon (chœurs à gogo et batterie, guitare et synthés aériens).
Avec "Neighborhood Threat" notr ami retrouve sur des territoires plus connus. Car il connait ça le bougre, la délinquance juvénile, le sniffage de colle dans le garage et les fantasmes de catcheur amateur. On le comprendra, hein, après tout, qui ne l'a pas fait me jette la première pierre. Il y a en tout gosse de classe moyenne un loubard de Ann Arbor qui sommeille. Tout le monde le sait, ces immeubles qui s'enchainent, et ces concessions automobiles rendent fous, comme ces guitares retravaillées à l'effet. Cette menace est là, elle vous guette, et on ne peut rien y faire, tout le monde le sait, et il n'y a qu'une façon d'y échapper: partir loin.
L'album se clôt sur "Fall In Love With Me" noyé sur des nappes d'effets vocaux, rendant la voix métallique tout droit sortie d'un interphone de Mc Drive de banlieue. Les synthés prennent peu à peu
le dessus sur Iggy, qui ne peux pas s'empêcher de lâcher ses dernieres stances misérables "You're young and hot, fall in love with me". Ah ouais. Le tout avant que les frères Sales ne sonnent la fin de la recréation, batterie en avant.

On sera d'accord pour se dire entre nous que ces neuf chansons constituent sans doute le meilleur effort solo de l'Iguane à date. Assez grand public pour plaire, et assez détaché et ironique pour plaire à la fille bien trop hip qui vous a esquissé un demi sourire lorsque vous marchiez sur le quai.

Oui, ce sera une bonne journée, et même ce bitume glacé ne vous fera pas changer d'avis. Non, pour rien au monde.

Aucun commentaire: