jeudi 23 avril 2009

Nom d'oiseau

Ok, tout le monde ou presque se reconnaît dans la mythologie stoogienne, la fratrie sonique, le rock and roll à son paroxysme, intransigeant, séminal, déployant des passions fascistes pour le groupe. Les Stooges ont ouvert la brèche électrique balayant d'un revers de wouawoua vicieuse les effluves psyché des sectes de baltringues en sandales et chemises à fleurs. Bowie avait bien compris ce qui se passait, en explorateur-suceur de génie. Dès la fin de Raw Power et alors que l'iguane barbotait dans les caniveaux et les bordels de New York après avoir réalisé l'ultime coup de l'album le plus pervers de l'histoire, c'est le grand sauvetage, la bouée de secours qui va réveiller le lézard avant que celui-ci ne s'écrase définitivement dans une spirale autodestructrice. C'est en H.P. que Bowie va venir chercher le Igg et lui proposer de commettre un dernier forfait avant l'éden berlinois: les saucisses, les squats arty et la coke en tutu japonais. C'est le point culminant d'une époque, le sommet d'une vague qui va influencer toute une génération de crêteux post-punk, batcave, électro indus en tous genres avant de s’écraser sur le marbre des rochers. De cette collaboration va naître deux trilogies (Low, Heroes et Lodger pour Bowie et The Idiot, Lust for Life et Kill City avec Williamson, que je recommande chaudement).

C'est donc un album à deux mains que nous avons là, bâti dans l'atmosphère opaque d'une ville totem comme un manifeste absolu de modernité urbaine et crasseuse. La voix d'Iggy est d'ailleurs beaucoup plus mature, spectrale, chantant comme un Sinatra d'outre tombe sous amphétamine. Le premier morceau Sister midnight pose les bases d'une rythmique robotique jazzy, les guitares en arrière-plan tissent des mirages d'architecture futuriste monolithique, s entrechoquent dans une micro symphonie de synthés orientés gore italien du début des années 70. C'est un peu la réponse clin d’oeil au Sister Morphine des Stones (Dieu que je déteste cette chanson), sauf qu'ici, c'est plus psychanalytique, tendue sur la corde sensible d'une chute vers des horizons électroniques, informatisés, impersonnels. Les S.S. en cravate ficelle de Kraftwerk et Neu! ne sont pas loin et programment déjà leur moog en révisant leur C++.
Il y a du jazz dans The Idiot, du jazz blanc de bar miteux, des lumières diffuses de clubs 70's, des ectoplasmes à iroquoise et perfecto, des couleurs violacées rendues visibles par le prisme d'une cité fantasmée ou se mêlent ironie et errance. Le très kraut (kraut codec) Nightclubbing, où il est question de déambulation nocturne sur le son de guitares furieuses n'arrive pas à se décrocher de cette rythmique synthétique de piano bar nauséabond ou se côtoient putes célestes et freaks cold wave. Tout l'album est dans cette dualité jazz/électro qui se marrie dans le minimalisme et la glace.

Funtime réintroduit l'espace d’un instant le Raw: tempo serré, solos acides, montée crescendo, effervescence métallique soutenue par un Bowie surexcité background qui donne envie de s'arracher en caisse, faire des burnouts sur le parking d'Auchan ou de faire du patin à roulettes sous la pluie ivre mort. La reverb fait très psychobilly, mais le refrain de Bowie noie le poisson dans des chœurs de zombies macrobios en manque (de sexe et de drogue, il va sans dire). Baby, s'enchaîne sur cette drague décomplexée et propose une comptine romantique ou Iggy crooner exulte d'une romance binaire claustro. La voix touche ici par sa gravité burlesque, joue au funambule sur le fil du rasoir sans jamais s'entailler, parfois jusqu'au dernier souffle du dernier cri comme sur China girl, tube stupide de Bowie qu’Iggy arrive malgré tout à façonner en drama d'hôtel de passe tendance Thaïlande un soir de vin mauvais (et dieu sait que le pinard doit être dégueulasse la bas).
Puis viens le grand hommage, la madeleine sonique noyée dans les remords ou Iggy se pose la question suivante : Où sont passés les Dum Dumb Boys. Vous l'aurez compris, il s'agit des frères Asheton dont Iggy déplore l'absence en se remémorant ses conneries passées et le O'mind de ses 22 piges. La fascination première reste intacte mais la force n'y est plus, même sous le riff marteleur typé Asheton, la maturité ayant fait son érosion. Reste juste la silhouette du monstre électrique comme une chimère d'une autre époque. Epoque qui semble s'être terni au gaz néon, aux reflets troubles des grands panneaux électriques comme ce Tiny girls – tragicomédie de comptoir au saxophone - qu'on pourrait prendre pour une chanson d'amour mais qui n'en est pas une avec son timbre de boulard proto goth.

Pour bien faire il faudrait écouter Low en parallèle , même imagerie, même fusion synthétique de boîte à rythme de magasin de jouets et d'ambiance steam seconde guerre mondiale tendance Varsovie et méchants nazis. L'influence est réciproque, quasi consanguine. Cela donc aurait plus de sens quand vient Mass Production et ses 8 minutes d'atmosphère noisy limite shoagaze, industrielle et entêtante comme pourrait l'être la rengaine d'une chaîne de montage issue de 1984 (ou toute autre anti utopie urbaine). L'iguane se mue alors en prophète new age perché annonçant l'ère décadente d'un modernisme dantesque et lobotomisé type métal hurlant et prison haute sécurité.
Et oui, The Idiot... on comprend mieux la chose à la lecture de la théorie punk applicable sans nul doute à la "bonne" musique, musique déconstruite qui se revendique du bruit pur et simple (Music is for zeros, noise noise noise is for heroes hurlaient les Damned). Un truc d'abruti en somme dont le seul intérêt se résume à la recherche d'un shoot d'énergie primale. Iggy et Bowie restant précurseurs c'est un orchestre de bruits qu'ils proposent et avec eux va la musique binaire, concrète, électronique, idiote, dont on antécèdera les genres de "post" ou de "death" mais qui finalement reste le meilleur (donc le pire) reflet de notre époque. La belle merde me direz-vous ? Demandez à Ian Curtis tiens.

Dorénavant, il faudra compter, en cette fin 77, sur le nœud de la corde du pendue, la nausée. C’est peut être ça le post punk, une gueule de bois collective, la conscience que peut être cela n'a servi à rien, que trois power chords n'auront pas changé le monde et que sur les ruines de la bacchanale est née une vision plus profonde de l'enfermement urbain. Eviter d'être ravalé par la société de spectacle, casser les structures musicales qu'on avait entamé sur des bases classiques, ne plus se référer qu'à des dimensions intimes, des mélodies organiques, des relents. Finis le grand Fuck off, il va falloir faire avec un nouveau romantisme, un nouveau lyrisme qui émerge et qui déjà fait pousser des mèches sur les cranes rasés et des gabardines feutrées sur les cuirs tachées à la bière. La fête est terminée, les parents sont de retour dans la baraque, cachez vite les culs de joints et les packs de 8-6, planquez sous le lit les vinyles des ramones et réveillez les derniers mecs en t-shirt fendus jusqu'au nombril qui cuvent dans la baignoire. C’est fini les conneries! Remarquez la cuite était bonne, le lendemain va être difficile.

Maxence

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