mercredi 17 février 2010

Pop bomb

Et bien voilà, ça y est, j’ai craqué. Roue moi de coups, crache moi au visage foule ingrate, repais toi de ma souffrance. Déchire de rage les derniers oripeaux de ma crédibilité artistico rock passée et fanée, laisse la vindicte guider ta fureur. Fais moi expirer, et avec moi les premiers serments prononcés par cette pauvre chair meurtrie que tu piétines maintenant avec joie.

Je m’étais juré de ne jamais parler de Phoenix, de me gargariser du coma du rock français et de son cortège de soubresauts, aussi courts que navrants. J’étais heureux de compter paisiblement les convulsions du cadavre, là, assis confortablement dans la pénombre, le cigare aux lèvres et le verre à la main. A cracher mon venin et persifler de ma langue venimeuse de vipère.

Ma vie était facile et simple, pour moi, le quatuor n’était qu’une hype Versaillaise de plus, et en bon républicain, mon devoir sacré était de l’ignorer, voire de la combattre. Qu’avait-elle donc cette ville, domicile de Air, Daft Punk et qui sais-je encore ? La grâce de Louis XIV, bâtie sur des monceaux de cadavres avait-elle rejailli sur ses descendants légitimes, touchés par la grâce absolue ? Les rayons de ce Roi soleil aussi fou que génial qui s’était promis de faire de cette bourgade de lointaine banlieue la capitale du monde connu ont-ils caressé la tête de ces élus ?

J’ai dû me rendre à l’évidence, sacrifier ma fierté sur l’autel de l’honnêteté musicale et intellectuelle. On ne fait pas danser les Anglo-saxon, et on ne passe pas au Saturday Night Live (dédicace au 1,2,3,4 en français dans le texte ) tout a fait par hasard. Comble du comble, une interview dans Rock & Folk à même réussi à me rendre ses bougres sympathiques. Il fallait donc chausser les écouteurs, se rendre compte, et dire, témoigner. Que recèle donc cette french touch, qui a littéralement explosé depuis « Wolfang Amadeus Phoenix » ? Tiens, des références au classique, quoi de plus normal pour l'hétérotopie de style classique par excellence, à savoir Versailles. Décidemment mes amis, les racines du mal remontent loin. Du rock, certes, mais aussi une sacrée dose de pop. Encore cette maudite French Touch.

Dès la première chanson « Lisztomania » la batterie sèche et indéboulonnable ne doit pas vous méprendre. En effet, c’est bien de sentiments et de romantisme que l’on parle ici. Qui de mieux choisi que de Franz Liszt pour vous l’expliquer ? Ce petit orgamond sautillant, et ces grands traits de clavier obsédants, montant vers un crescendo dramatique d’énergie et de saturation sommitale. Majestueux et fragile comme un coucher de soleil, dans son écrin final de flute de pan-clavier 70s digne d’un film de boule de la grande époque (ongles roses et permanentes). Bon, on tient quelque chose.

Cette douce mélancolie va-t-elle se prolonger ? Ce salutaire effort pour faire échapper une partie de la jeunesse à l’avilissement et au lucre gratuit va-t-il continuer ? Et bien oui. « 1901 » est de ces rengaines. On y parle de temps qui passe, de grande boucle de la vie et de choses désuètes, de ce temps qui vous coule entre les doigts, comme du sable. Et toujours ces claviers et ses multiples sons bidouillés qui enrichissent et jouent avec la basse. On dirait que le Pop Rock veut dire enfin autre chose que médiocrité mièvre et plate. La nervosité de la guitare et les arrangements classieux donnent un mélange très proche de la perfection. La piste suivante « Fences » laisse encore libre cours au clavier de ce diable de Deck D'Arcy, échappé du futur des années 2001, bloc de pierre, combis oranges et babouins dansant avec. La voix aérienne de Thomas Mars, tout en légèretés aigues se mêle à cette bande sonore de space opera qui s’écrase par à coups sur le dancefloor, à chaque coup de grosse caisse de Thomas Hedlund. Oui on est bien là, capturé dans cette atmosphère moite de dancing de station orbitale.

Vous ne me croyez pas ? Le réacteur central se rallume après des années d’hibernation sur « Love Like a Sunset Part I ». Des sons de machines organiques, une mélodie qui se réveille peu à peu, à mesure que les voyants ne se rallument sur les consoles poussiéreuses, les uns après les autres, nous poussant dans une marche galactique vers le Soleil. A toute allure, faisant la course avec les protons. On jurerait cette piste échappée de la magnifique bande originale du film « Sunshine ». La suite de cet interlude instrumental qu’est « Love Like a Sunset Part II » retrouve son équipage humain à la barre, réveillés par la chaleur du Soleil, et chantant ce coucher de soleil, qui sait ? Peut-être le dernier ?

« Lasso » laisse toute l’envergure et la distance nécessaire aux musiciens pour s’exprimer, que ça soit la batterie facétieuse, la basse tendue ou la guitare acide des Laurent Brancowitz et autres Christian Mazzalai. Des français savent jouer et mettre en scène leur talent. Je ne suis pas blasé, et c’est réconfortant. « Rome » revient vers des territoires connus par les fans du groupe. Quel endroit de plus romantique que Rome, la ville millénaire qui a vu passer Nerval, Stendhal et les plus grands romantiques de l’histoire française y venir s’y prosterner et clamer sa beauté. Son charme désuet de capitale d’empire patricienne, celui de son colisée et de ses mille fontaines de marbre blanc. Tous ces échos dégradés et ces réverbérations sonnent comme les battements de votre cœur et les sons de vos pas dans les catacombes. Toujours de cette légèreté faite de dentelles brodées.

« Countdown » la chanson suivante débute comme une création de My Bloody Valentine, charpentée par ces sons de claviers perdant complètement mon pauvre cerveau, baignant dans cette vapeur moderne et éthérée. J’incrimine personnellement Air et Daft Punk pour cette ambiance de sons rétro-futuristes assumés. Même si les rythmes se cassent et se syncopent, tous les efforts des musiciens pour saboter l’effort collectif que constitue cet album sont vains. Les thèmes restent les même, le temps, la vérité et la solitude comme autant d’états d’âmes obsédants qui s’envolent et se suspendent dans les airs avec la dernière explosion de clavier.

Si les influences de Daft Punk période « Aerodynamics » étaient clairement visibles, elles percent les oreilles dans « Girlfiend », dans les sonorités futuristes rondes certes, mais aussi dans la manière de passer sur la guitare un traitement funky. Croisé avec de la pop et des tunnels d’electonica (je ne sais pas exactement ce que ça veut dire, mais je trouve que ça sonne bien) qui donnent aux morceaux cette fluidité mélodique remarquable.

Le bal se clôt sur un titre proverbial « Armistice » un mot cher aux imaginaires collectifs français. La fin en somme du bombardement, pictural comme musical qu'a constitué cet album. La bataille est terminée, bouleversée et indécise jusqu'à ses derniers tressaillements. Les derniers moments de bruits et de fureur suspendus au milieu du silence. Comme ces instruments qui vont et qui viennent, avec leurs rengaines morbides et répétitives, dans un vacarme assourdissant jusqu'au silence télégraphique, lancinant et suprême.

Voilà mes amis, le hussard du rock est à terre, anéanti par sa dernière charge. Le sabre sali par la boue du champ de bataille, hébété par le fracas mille fois répété de la chair et du fer. Fourbu par tant de cavalcades et de charges aussi vaines que désespérées. Il lève à présent les yeux au ciel, ébloui par le soleil d'Austerlitz. Et il finit enfin par se rendre compte que c'est de ce celui ci que l'on forge les plus belles gloires.

Oui, décidément, l'empereur n'avait pas menti.

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