vendredi 27 juin 2008

Noir c'est noir...

Il faisait beau et chaud, maintenant il fait froid et le temps est moche. Une chape de nuages de plomb semble écraser nos têtes. La pluie délave une énième fois les murs de briques et dévale sur le bitume gras et luisant avant de dégouliner par flots irréguliers dans le caniveau.

Nous sommes à présent fin prêts pour écouter Joy Division.

C’est un groupe de caractère, comme les camemberts à la télévision, ils puent la tristesse et la mal être mais sont quand même délicieux. Je ne ferais pas à ce grand groupe l’injure de le comparer à un fromage à pâte molle, si noble et délicieux soit-il, mais c’est le principe que je voudrais juste illustrer.

Pourquoi se pencher sur un groupe si sombre et cafardeux, évoluant dans un délire et une ambiance si noire et claustrophobe ?

Pour la bonne et simple raison, que depuis Baudelaire, on sait que les diamants sont parfois noirs. De la même noirceur dont était voilé le cerveau épileptique de Ian Curtis, trop réactif aux émotions et à la lumière blanche. Un rocker poète torturé, et gaspillé, éreinté trop tôt par la vie et ses affres, un mariage trop tôt ainsi qu’une petite fille trop vite arrivée. Mais réduire Joy Division à son chanteur à la voix caverneuse ne serait pas juste. Il faut souligner l’importance de son groupe, plus qu’affûtés, méchants et froids comme une lame de scalpel, à la rythmique irréprochable. Avides de vous faire connaître des plaisirs inconnus, qu'il ont continué à explorer par la suite sous le nom de New Order.

Ce premier effort démarre en trombe, avec un morceau bouleversant, « Disorder », un appel déchirant à l’amour paternel et filial d’un jeune homme désespérément seul et perdu. La rythmique sèche bat comme un cœur serré, étouffé par la tristesse et le temps qui s’enfuit, dont l’aorte est déchirée par les saillies de guitares coupantes rêches comme le bitume mancunien. Le ton est donné.
« Day of the Lords » ressasse encore les interrogations sans fin du jeune Ian sur la vie, ses mystères et sa quête insatiable de vérité, sur un ton martial et solennel de mage lunaire.
Notons ensemble comme la voix est enterrée dans le mix, donnant à tout l’ensemble un aspect lointain et éthéré, « Candidate » est la meilleure façon de s’en rendre compte tant l’instrumental est dépouillé et minimaliste. On y parle de mort, d’isolement et de moment fatal, dures prémonitions si il en est. « Insight » est l’occasion de se rendre compte des premières expérimentations synthétiques et électroniques menées par le groupe, comme l’intégration au morceau de grands fracas et de buzzements étranges.
Il en sera de même sur « She’s Lost Control dans lequel le sépulcral Ian nous raconte la première crise d’épilepsie à laquelle il a assisté dans les locaux de l’ANPE où il travaillait.

L’auditeur averti saura que les « pschits » ne sont pas des sons de batterie électronique mais bel et bien le sifflement d’un spray actionné en rythme par le batteur Stephen Morris.
Ces expérimentations, bien que novatrices et importantes n’occultent pas la prépondérance classique et traditionnelle de la basse droite de Peter Hook.
L’intro de « Shadowplay » est le moment de s’extasier sur la finesse du martelage de ride du batteur, un court répit avant la violente attaque de guitare du toujours cravaté Bernard Sumner, tombant d’abord comme un parpaing, pour remonter parmi les ondes et tout démolir de nouveau. Notre ami Bernard avait retenu les leçons du punk, cultiver des lignes simples et aiguisées. La cohérence du mouvement new wave est d’ailleurs telle que l’on croirait les deux minutes et quelques de « Interzone » sorties d’un album de Wire ou du Gang of Four de par les voix écorchées présentes et leurs tresses mélodiques rageuses.
On croirait aussi « Wilderness » tout droit sorti des grands PIL, la voix réverbérée raisonnant comme dans un bunker berlinois de 1945.

Dans « I Remember Nothing », Ian Curtis parle ouvertement de sa maladie, à savoir l’épilepsie, engendrant malaises, crises et instants de grande faiblesse, sans compter les effets secondaires des médicaments, comme les hallucinations et des pertes de mémoires.
Son monde à lui, noir et brumeux, sa douleur nous est difficilement accessible, tant elle est ressentie profondément dans sa chair.

C’est ça dans le le fond, tout l’essence de Joy Division, transformer des sensations ténues et passagères (pour les moins dépressifs d’entre nous) en une explosion glacée émettant d’aveuglants rayons de lumière noire.
Finalement, Romain Gary nous a donné la promesse de l’aube, Joy Division nous a offert la promesse du crépuscule. Libre au fantôme de Ian de la tenir.

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