vendredi 4 septembre 2009

Traine - savates

Pourquoi personne ne m’a jamais parlé plus tôt du mouvement shoegaze ?

Pourquoi mes amis fins connaisseurs, mélomanes de goût et autres musiciens de talent (n’est-ce pas à ses amis que l’on mesure la carrure d’un homme ? *hum hum éclaircissement de voix*) on-t-ils gardés pour eux cette pépite ?

Alors oui, certes, j’en avais entendu parler distraitement au détour d’une conversation, plus attiré par les sourires des filles et le fond de mon verre.

Certes encore, on subodore des choses, des fragments adjacents parmi d’autres discographies.

Des reverbs du Velvet, des plages noise de Sonic Youth, des échos des Pixies…

Puis finalement, dans certains magazines rock, on croise du regard quelques clichés comme autant de théâtres trompeurs et grossiers des apparences.

Ces jeunes au regard perplexe et quasi-absent, aussi bien habillées que des teuffeurs de province en guenilles, n’ont pas retenu plus de quelques secondes de mon attention (c’est mon côté Mauriac un peu réac’ que les filles adorent).

Bref, on s’était planté, mon cerveau et moi, par paresse crasse et fainéantise obtus, notre lot à tous. C’est mon devoir d’homme éclairé que de le combattre, même par le biais de cette tribune plus que confidentielle.


Mon passeport pour la rédemption intellectuelle sera l'album "Loveless", du groupe irlandais My Bloody Valentine. Un groupe moderne, pratiquant la parité avant nos chères lois républicaines (Bilinda Butcher et Debbie Googe aux basses et guitares et Kevin Shields aidé de Colm O' Ciosoig [ wtf ?] aux guitares et batteries).

La raison de ce choix est simple, cet album est sensé être la toute première base du mouvement shoegaze, un de ces blocs de granit ou de calcaire que l'on soit napoléonien ou egyptologue. Notre pinceau d'archéologue en main, nous pouvons nous pencher avec l'excitation intellectuelle du philatéliste sur cette gemme des fort décriées fin des années 1980.

L'album commence par le morceau le plus pop et grand public que le groupe ait réussi à produire sur ce gros gâteau d'échos, de saturation et de reverb. "Only Shallow" attaque fort, avec une guitare réglée par un cinglé, qui sonne comme des hurlements de Vélociraptor.

La voix féminine, pure magnificence éthérée et aérienne mixée en arrière contraste totalement avec le reste des instruments.

Dès l'écoute de la première chanson, on se rend compte que ce groupe d'extrémiste irlandais (un peu comme l'IRA) a l'ambition de dynamiter les conventions et de déstructurer les acquis d'une scène rock alors un peu endormie. Et cela marche. La provocation continue avec "Loomer", morceau déconstruit, tournant en boucle, toutes guitares retenues, attendant d'exploser, obsédantes. Un clavier dégueulasse porte avec lui les derniers oripeaux d'une New Wave mourante. Même le songwriting n'importe plus vraiment.

Les paroles, d'ailleurs s'envolent, sur "Touched" comme emportées par le vent comme des feuilles mortes, disparues, balayées par un clavier, des reverbs et échos de guitares inquiétantes, quasiment immortelles. Retenez bien ce son recouvrant absolument tout. Il étaye une de mes théories fumeuses : My Bloody Valentine est le dernier rejeton de la New Wave nordique.

Il s'agit pour s'en convaincre de prêter l'oreille à la chanson suivante "To Here Knows When".

Ce son qui paraît samplé, entêtant est tout simplement une marque évidente de la new wave tardive du milieu des années 80. Il suffira d'écouter "O Pamela" et "Gruesome Castle", deux bijoux du groupe Écossais aussi talentueux que méconnu The Wake. La ressemblance est flagrante, l'Irlande et l'Ecosse étant séparées par un petit bras de mer. Ces voix sous mixées et ses claviers éthérés attestent de la présence d'une même couche sédimentaire primitive, celle de la New Wave. Une chose qui va disparaitre après quelques accords américain bien bendés.

Ce son subsiste sur la chanson suivante "When You Sleep", qui vous propulse droit dans le futur, un refrain que l'on donnerait pour du Pixies. Une guitare dont la vigueur et le son donnent l'impression que ces notes ont le pouvoir de briser les rêves comme de simples bulles de savon. Les chorales de chanteurs se fondent et se mélangent comme une fête de fantômes vaporeux à la Hacienda de Manchester, avec le défunt Ian Curtis aux platines.

"I Only Said" et ses vagues de décibels parlent d'un ciel rouge, sous lequel on vit, peut-être celui de la jaquette? On ne sait plus si on entend véritablement un harmonica ou si l'on a tout simplement rêvé, la tête posée contre le réacteur n°4 de Technorbyl, avant que notre vision ne se brouille à jamais. Chaleur et lumière des atomes en fusions.


Sur "Come In Alone" on se rend compte que le son des Valentines n'est pas un hasardeux bidouillage mais d'une modulation habile de leurs guitares, qu'ils parviennent à faire sonner comme un baleine mourante (décidément, c'est le jour des métaphores animales).

Ces différentes tonalités leur permettant de brosser toutes sortes de palettes d'émotions.

Ce dont ils ne se privent pas de faire sur "Sometimes", où, groupe féministe oblige, Kevin peut enfin se tailler la part du lion au micro. Le résultat est à la hauteur de celui des demoiselles. Cette chanson nous donne aussi à voir que les thèmes New Wave, solitude, futurisme, poésie et amour en perpétuelle fuite n'ont pas changé.

La chanson suivante, confirme cette orientation, "Blown A WIsh" parle de mort certaine et d'attente, de promesses sur les coups de minuit. A cette heure si étrange ou tout paraît différent. On se laissera impressioner par la discretion de la batterie, laissant toute la place necessaire aux harmonies voix-guitares, la grande spécialité du groupe.

"What You Want" quant à lui a carrément des faux airs de "Teenage Riot" de Sonic Youth. On imagine sans peine à cette époque, à quelle saine émulation ont pu réagir les deux groupes.

L'album se clot sur "Soon" qui envoie la dernière dose d'énergie vitale, sa batterie affirmée, et Bilinda qui surfe sur les dernières saillies de guitares qui paraissent aussi coupantes que rugueuses, clouant sur place la voix trainante qui semble à présent s'étaler comme la traine d'une comète mourante.


Oui, cet album est la preuve de plusieurs choses. La première est que les groupes irlandais ont toujours sû cultiver une différence précieuse avec l'encombrant voisin anglais (des Undertones à U2, des périodes de ce dernier groupe demeurant à peu près valables si vous n'êtes pas un gros hipster de votre race). La seconde est la preuve que le vacarme des guitares saturées peut se permettre d'être majestueux, comme la mer ou un orage d'été. Ceci, en soi, est une grande leçon.

Alors après tout, bon, post-New Wave ou Shoegazing, qu'est-ce qu'on en a à faire?


Voilà, la faute est réparée.

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