mercredi 1 juillet 2009

Purple heart

Tout le monde avait été trompé. Niqué. Entubé. Arnaqué. Une jeunesse stupide, dispersée aux quatre coins des cinquante états des Etats Unis d’Amérique vivait enfin son rêve. Ils avaient obtenu ce qu’ils voulaient. Les copains rentraient enfin du Vietnam, l’herbe circulait, leurs tomates bio poussaient bien. Le gouvernement avait enfin toléré l’existence de communautés autonomes dans le désert, enserrées dans des mobil-homes rouillés, hébergeant paisiblement des hordes d’enfants de l’amour dans d’épaisses volutes de prog rock psyché.

Ces gens là, comme beaucoup, avaient oublié. Oublié beaucoup, voire trop de choses. Surtout oublié que leur pays était finalement le plus génial du monde. Celui qui avait vu naitre le rock and roll et s’envoler Elvis, Chuck Berry, Buddy Holly et Little Richard vers des firmaments incroyables. Cette bannière sur laquelle ils crachaient, c’était eux tous. Cette énergie féroce primaire, cette spontanéité et cette sincérité, ils l’avaient perdu, égaré en route au tournant de la fin des sixties. Elle s’était définitivement étiolée et évaporée à chaque bouffée de joint, à chaque gobage d’acide. Ils s’étaient tout bonnement perdus en route.

Seuls des poignées de parias incompris continuaient en 1972 à touiller ce qui était considéré par la classe hippie bien pensante comme un brouet réactionnaire et passéiste infâme.

Ils répondaient au nom de Stooges, Velvet Underground, New York Dolls. Les francs tireurs, les derniers des mohicans, réunissant des poignées de partisans éparts et agitant le maquis à grands coups d’albums terminaux, de concerts sauvages et de happenings réjouissants. Des passeurs pour les générations futures. Ceux qui nous intéressent ici sont les plus méconnus d’entre eux : les Moderns Lovers.

Les moins connus car les plus classiques, conformes et sages. Cette apparence ne saurait pas égarer le jugement du mélomane averti. Le leader charismatique des Lovers était en effet Jonathan Richman, bon à rien et fan notoire du Velvet qui file rejointe son groupe fétiche à New York sitôt le bac en poche. Il traine 9 mois las bas à squatter le canapé du manager du groupe et rentre dans sa Boston natale (ville aussi fertile de groupes que la grosse pomme, les Pixies vous le confirmeront), métamorphosé, il se met dans la tête de créer chez lui un groupe au moins aussi bon. Il sonne chez un vieil ami d’enfance et guitariste John Felice, le bassiste Rolf Anderson et le batteur David Robinson qui répondent présent. Les deux derniers claqueront la porte un an plus tard. Pour être remplacés par des étudiants de Harvard (oui Madame), Erny Brooks et Jerry Harrison. Richman porte les cheveux courts et le complet cravate, bardé de ses deux nouveaux acolytes, ce groupe n’incarne pas les clichés rock de l’époque. Le groupe joue dur, tourne dans la région de Boston et écrit ses premiers morceaux qu’il enregistre pendant des sessions parfois entrecoupé d’un an. Le combo est finalement signé sur Warner et parvient à décrocher comme producteur John Cale, en bon fanatique du Velvet. L’album éponyme qui nous intéresse ici aura donc été enregistré à la coule, durant maintes sessions et en différents endroits sur plus de 4 ans, car sorti en 1976. Album d'ailleurs sorti après la dissolution du groupe, un véritable patchwork pour que la major puisse enfin se mettre quelque chose sous la dent et remplir les caisses. Une trajectoire cométaire illustrant parfaitement le style détendu et carrément j’men foutiste du combo.

Pas de performance vocale, de torse poilu dégoulinant de sueur. Une nonchalance provocante, pourquoi se donner du mal à hurler comme tout le monde ? Pourquoi le faire quand une poignée de mots jetés dans un micro à la va-vite fait bien plus que 120 db vomis par le premier routier du coin ?


Autant le dire tout de go, l'album commence avec ce qui est devenu avec le temps un classique. "Roadrunner" est aux jeunes automobilistes en fugue et désœuvrés ce que "Born To Be Wild" est aux bikers du monde entier. Le morceau retrace en quelques minutes la plénitude qui vous saisit, lorsque vous vous laissez guider par la direction souple d'une Lincoln, les fermettes du Massachussets déroulant dans leurs écrins de verdure, et la radio crachant ses standards dans son flot de décibels. Le groupe ne renonce pas aux grandes parties de clavier et de cornemuse (John Cale ?), rien n'est trop beau. Rotten, l'avait compris, cette chanson sera une des premières reprises par les tous jeunes Sex Pistols alors appelés "The Strands". Les rêveries et l'ennui adolescent (tonight I'm all alone in my room, I go insane) la décrépitude morale et sentimentale qu'ils engendrent, la source de regrets insondables qu'ils entrainent sont une thématique majeure du groupe. "Astral Plane" parle de solitude et d'abandon, cet avion dans lequel embarque le jeune Richman est celui de ses rêves. Celui qu'il prend avec sa petite amie qui ne se pointe jamais. Un vol de nuit version 1976, servi par des nappes de synthés et une guitare grattée à l'os, rappelant certaines parties de Copperhead.
Le groupe vient de Boston, une des grandes cités patriciennes de Nouvelle Angleterre, une des plus anciennes, fondée par les premiers colons arrivés dans le nouveau monde. Une ville charmante au demeurant que ce groupe adore, elle et son conformisme désuet servi par de gentils parents. La piste commence comme un Morceau du Brian Jonestown Massacre. Bourrée de bons morceaux de l'ancien monde "I love the 50s !" entend-on, le groupe cultive ses racines et ne crache sur rien, surement par sur les mythes de leur enfance. "Old World" est aussi l'occasion d'insister sur un superbe échange clavier-guitare, un ensemble dynamique composé de gammes savamment orchestrées.
Avec "Pablo Picasso", on assiste tout bonnement à la naissance de la New Wave moderne. Tout se trouve sur ce fond de machisme admiratif pour l'artiste: Les parties de guitares des Talking Heads "Pyschokiller" en particulier, le ton modéré de la voix, mixée en retrait, le rythme entêtant de batterie.
Si on Pouvait soupçonner les Modern Lovers de ne pas porter dans leur cœur les hippies, tout doute est levé avec "I'm Straight', où Jonathan crache sur Hippie Johnny, (celui qui n'a pas de colonne vertébrale) le petit copain de la fille qu'il aime. Il explicite clairement qu'il veut prendre sa place, et que c'est lui le plus malin, le meilleur. Aucune chanson ici, juste un monologue, un texte parlé, et si le coup de fil désespéré dont parle Richman était tout simplement cette chanson?
La piste suivante renferme un joyau de l'imaginaire des Lovers, la relation de couple inexistante, et la solitude qui fait gamberger, le doute, les amis qui partent. Le futur, cette lourde chape de plomb qui effraye, mais pas notre héro, il sera "Dignified and old", et plus jamais seul. Ce morceau enferme aussi de petites innovation et des initiatives des plus séminales pour le mouvement punk en général. En premier les chœurs scandés de manière brouillonne et en seconde les parties de guitares agressives, adoucies par une basse langoureuse et des dentelles de clavier.
L'énergie punk se dévoile plus sur la chanson suivante: descentes de bases, rythme binaires et guitares bourrées de treeble, riffant la même chose en boucle. C'est cela "She Cracked", une copine infidèle qui fait des conneries, bien trop de conneries, une complainte énervée de petit ami bafoué, qui partageait pourtant des hobbies avec elle, par exemple "les choses européennes de 1943", comme...comme c'est curieux, les Ramones.
"Hospital" peu se lire en deuxième acte de la première chanson, la copine sort de l'hôpital, et lui le chanteur, est toujours amoureux d'elle, malgré tout. Le désespoir, l'hésitation et le doute, une chose qui a fait faillir bien des hommes, vous, moi y compris. La mélodie hispanisante et le rythme slow chanté par une caisse claire reverb (qui a dit 80s ?) montre la direction que la musique en général, ne va pas tarder à emprunter. Les accès de rage rappellent des Doors et leurs incantations voix-clavier. Ce n'est pas une chanson, mais une déchirure interne tant le chanteur souffre. Ce groupe mérite décidemment bien son nom.

Le break d'entrée de "Someone I Care About" part lui aussi comme une fusée. On remarquera que le thème encore abordé sera la recherche éperdue de l'amour, le vrai. Une quête menée rage au ventre. Aussi tendue que le beat de batterie, aussi aigrelette et monomaniaque que ces guitares rachitiques et obsédante. Aussi lancinante que cette base hypnotique. La recherche de l'amour absolu et suprême comme ultime but, un graal exutoire. Les Lovers veulent y tremper leurs lèvres.

La ballade la plus touchante et mélancolique de l’album est très vraisemblablement « Girlfriend », dont vous aurez remarqué la subtile allusion au thème principale de la chanson. Ici les voix se calment et l’ensemble devise lentement, accords plaqués et caressés sur les manches des guitares, comme le ferait votre propre main sur la paume moite d’une délicieuse inconnue. Le piano et la voix solitaire donne au morceau des airs de vieux dancings trash, du genre que l’on trouve dans les vieux Novotels de province pas encore rénovés. Vous savez, ces lieux aux sous-nappes roses, où les serveurs ont des cravates vert d’eau et où l’on s’assoie dans de grandes chaises en rotin peintes en blanc, qui grincent et crissent. Le morceau se termine sur une partie de guitare exquise.

Après ce court interlude de romantisme new age assumé, c’est justement de ce « Modern World » dans lequel il évolue que parle la chanson suivante. Une décharge d’adrénaline qui commence avec un break de batterie sans appel et mixe de vieilles guitares rockabilly avec un batterie simpliste, les chœurs remettent à nouveau à plat les premiers motifs punk tissés depuis le début de l’album. Cette chanson est un hymne à l’Amérique, ce qui est rare en 1976 après Vietnam et Watergate. Voilà enfin une chanson d’optimisme, qui parle, je vous le donne en mille, encore d’amour: “Well the modern world is not so bad, Not like the students say, In fact I'd be in heaven, If you'd share the modern world with me ”.

Les Lovers croient tellement à ce mode fantastique et rieur qu’ils décident, d’emmener leur sarabande dans les bureaux des fonctionnaires, faire danser dans les postes et les ANPE. L’atmosphère délétère est renforcée par un piano de Luna Park déjanté, grand instigateur de bazar.


Car oui, les Modern Lovers on contribué, directement ou non à le mettre un certain printemps 1976, il allait arriver en Europe en 1977. Le reste de l’histoire, vous la connaissez plus ou moins bien. On n’aura à reprocher à ce groupe qu’une seule chose : avoir eu raison trop fort et trop tôt. Sacrifiés sur l’autel des fulgurances incomprises, et oubliés du grand public, le sort peu enviable des génies.




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