samedi 7 août 2010

Le bal des sorcières



L’été est là. Et vous le savez, l’été c’est l’ennui. La mort moite et fumante, dont la torpeur humide et collante s’exhale par tous les pores de votre peau. Accablé par la chaleur, il ne reste rien à faire, que vous soyez au travail ou au chômage, vous le savez.
Vos clients, vos patrons sont partis ou sont sur le point de le faire. C’est un moment douloureux pour tous. Personne ne se soucie plus de rien. Rome ou Berlin en feu devaient être remplis de ça, de gens qui s’en foutaient.
Il n’y a plus personne pour se soucier de quiconque.
A l’heure qui l’est on se soucie d’expedia.com, de lastminute.com, de hertz.com, de voyagessncf.com.
Autant d’institutions aux cases à cocher et aux montants à remplir qui vous insultent à chaque fois qu’ils sont prononcés.
Alors on va faire comme tout le monde et s’en foutre. Mais attention, avec élégance, avec détachement et distinction, et s’enfermer dans un délire musical dangereux.

On mettra autant de ferveur à écouter ce disque que les autres en mettent dans le choix de leurs horaires de trains et de ferry. On se recueillera devant le tourne-disque tout comme ils le feront devant la machine Selecta de l’aire d’autoroute du Loup (à 40 km de Valence environ). On choisira avec cet album avec minutie, comme un billet d’avion. Sauf que là, le décalage horaire, se comptera en bpm, l’excédent bagage en décibels et la taxe aéroportuaire en watts.
C’est drôle, car je suis justement tombé sur un album à vous faire préférer le ciel noir de vinyle à celui bleu de beaucoup de destinations.

Les Warlocks sont un groupe atypique. C’est la formation de Bobby Hecksher qui chante et gratouille la sèche après avoir passé quelques temps au sein du Brian Jonestown Massacre. Autant dire qu'il figure en bonne place dans l'aristocratie rock indé californienne.
Bien sur hautement influencé par Anton Newcombe, le leader s'entoure d'un noyau solide (JC Rees : guitare, Ryan McBride: guitare, Bob Mustachio [!!!] : batterie) et d'autres acolytes de passage.
19 personnes sont déjà passées dans les rangs du groupe cultivant un son (et un mangement) assez similaire à celui du BJM, bien qu'un peu plus noise et mélancolique. Une sorte de croisement entre les Jesus and Mary Chain et les Dandy Warhols saupoudré par un Velvet Underground ésotériquo-new age.
Si vous n’avez pas décroché après ce pot pourri foireux, le mal est fait, vous allez adorer ce groupe.

Le bal s’ouvre d’ailleurs sur un couinement de scie à métaux, orgie de reverb et de saturation dont va s’extraire peu à peu quelque chose ressemblant à un beat de batterie et une  mélodie de guitare aussi déglinguée que ses auteurs. Oui, « Jam Of The Witches » est bien un bœuf déjanté, le sabbat d’une bande de sorcières balais electriques en bandoulière. 14 minutes sombres et instrumentales qui sonnent comme des lament le prélude à une odyssée nocturne.
Les shamans sonnent le gong et posent la transe, le tambour lent et les guitares l’installent dans une ambiance aérienne et éthérée et transparente. On se retrouve transporté dans la « House Of Glass » un songe confortable, quelque par autour du feu, à demi endormi dans l’herbe sèche. Cette petite voix vous rappelle qu’il n’y a que vous, l’immensité du ciel et les étoiles et que tout va très bien comme ça.
Le « Skull Death Drum Jam » porte bien son nom. Oui, je l’affirme car on peu compter sur les doigts d’une main les groupes signés osant débuter leurs morceaux par des plages de batteries pures de plus d’une minute sont rare. Même si cet interlude tribal installe une petite atmosphère, on aurait bien voulu une petite voix sur cette disto buzzante, histoire de combler le vide percer dans notre espace limbique.
La piste suivante, « Whip Of Mercy » revient sur des variations plus classiques et plus régulières. Cette petite voix, sa batterie caressée par des pinceaux rappelleront des choses aux amateurs du Brian Jonestown Massacre et d’Elliot Smith. Et dieu sait qu’il y en a dans la salle. La petite mélodie de voix a tout ce qu’il faut pour réconforter les cow girls parmi vous. Mais tout ceci n’est rien. Non, strictement rien vis-à-vis du frisson que l’on ressentira à l’écoute du morceau suivant. Celui-ci est une sorte de caresse hallucinée. Une de celles qui partent des tréfonds de la nuit pour vous accrocher à votre plafond au milieu d’un rêve. « Song For Nico » est ni plus ni moi qu’une des plus belles chansons d’amour écrites durant la fin des années 2000. Rien que ça. Non seulement l’aspect musical de la chanson et proprement imparable (les accords d’Heroin du Velvet, mixés avec une livraison vocale digne d’Anton A. Newcombe et des plages soniques sonnant comme du Jesus et Mary Chain). On saura aussi apprécier un songwriting aussi percutant que minimaliste :

“Roses are so red
They make me want to sleep on the floor with you.
Is it okay to taste the salt and wake up on a Saturday?
I think it is.
I know it is."

Se pourrait-il que ce diable de Bobby Hecksher parvienneà reprendre le dessus ?

La confirmation nous en est donnée sur « Left And Right Of The Moon ». Rien que le rythme de batterie et de basse augurent tout d’un excellent morceau. Vient ensuite la voix de ce satané Bobby. Ce maudit qui a vendu son âme au diable. Hantant les rues à la recherche de sa dulcinée dans la nuit, il n’a d’autre choix que d’errer sous la lune laiteuse et insolente. Le solo pathétique et malingre sonne de ses cordes usées dans le vide. Décidément, cet album est celui d’un ouest fantomatique.
 « Motorcycle », la chanson suivante est encore un grand jam instrumental planant totalement maitrisé étirant ses guitares de tout leur long. C’est un retour sur terre en douceur, à la cadence des pistons qui cognent et du métal qui brûle
L’ultime chanson est le réveil «Heavy Bomber/Laser Beam » est un live. Le temps du rêve est fini, le son se dégrade. Le fantasme de la perfection disparait dans les derniers échos du songe que la foule impie ose déchirer à coup de murmures et d’éclat de rires.

Ça y est, c’est le retour sur terre, et l’on a du mal à y croire. On se retrouve dans son lit et le réveil matin nous rappelle qu’une nouvelle journée commence. Mais qu’elle était bien cette nuit bleue pétrole. Une couleur logée au plus profond de crâne, que tous les ciels et les mers du globes auront à vous envier pour longtemps.

Bonnes vacances.