lundi 18 mai 2009

La minute CNRS

Non, pas de disque là, pas envie, pas la niaque, pas la grinta du joueur de football sud américain.
Pas de sensations, de frissons, Waterloo morne plaine.
Alors voilà ce que je vais faire comme le marin au port, je vais bourrer de tabac ma pipe en écume , et vous demander de me payer quelques lampées de rhum afin de vous exposer quelques unes de mes théories rock fumeuses.

Voilà, je vais me perdre dans un verbiage socio-politico-musical plus ou moins long et brillant afin de vous distraire, lecteurs chéris, avec la grâce et le brio du clown depressif. Le genre de malade qui dans un dernier soupir, mourant sous la lumière aveuglante des projecteurs serait capable de lancer une dernière blague de toto avant de souiller son pantalon bouffant à pois dans un dernier tressaillement convulsif.

Nous allons aborder ensemble une des grandes questions que je me suis beaucoup posé depuis au moins 5 ans. Pourquoi existe-t-il (du moins médiatiquement) que des groupes de rock dits de riches?
J'imagine souvent dans mes fantasmes musicaux un groupe moderne, contemporain, transpirant l'ennui et l'urbanité agressive, dont les chansons relateraient sans détours des amours brisés et des rixes auprès des tours (poésie quand tu nous tiens). Vous savez, un genre de songwriting que l'on a pas vu depuis Renaud mais en beaucoup moins ringard, en évitant les mobylettes et l'accent titi parisien.
Un groupe dont l'écriture saurait synthétiser la veine à la fois vraie et poétique des bons groupes de rap (clichés d'orient/cuisine au piment/jolis noms d'arbres pour des bâtiments dans la foret de ciment -IAM-) dans un format résolument rock.
Des guitares un peu salies, à mi chemin entre les Hellacopters et les Libertines, mais avec un style bien plus direct, proche et concerné (qui a dit Starshooter et Asphalt Jungle?).
Je n'ai pas peur des chansons médiocres, je suis sûr qu'elles peuvent êtres vraiment nazes, si faibles et décharnées qu'elles en auraient du charme. Ce truc touchant qu'on les mauvais élèves quand ils orthographient mal un mot.
Ce serait, ça un groupe de pauvres, pour une fois, on pourrais même leur pardonner certaines choses comme le fait de faire un clip sur la dalle à carreaux de terracota 70's de la préfecture de Creteil. Jusqu'à présent les groupes de pauvres versent tous dans le ska festif ou l'alernatif 80's chiant comme La Souris Déglinguée et les Garçons Bouchers (que personne ne me parle de Noir Désir).
Ce triste constat nous amène à une question centrale en France (le pays de Saez, aïe, plus de 14 ans s'abstenir sauf si vous êtes une jeune infirmière de province): Pourquoi ne voit-on pas émerger sur la scène médiatique (même restreinte au microcosme du rock) un groupe venant des cités?

Les réponses sont nombreuses et constituent un faisceaux d'obstacles tel que tout jeune sensé préfère s'emparer d'un stylo bic, d'un micro et boucler quelques samples pour s'exprimer.

1) L'investissement financier considérable que représente l'achat d'un matériel de groupe de rock, même bas de gamme. Pour un line up permettant de réaliser de petits concerts il faut que le groupe débourse bien plus de 1000 euros. Le prix de l'indispensable studio de répétition rajoute au marasme financier avec des dépenses régulières à 25, voire 30 euros les deux heures dans une petite salle où la sueur devient par la magie de la physique, vapeur. Le fondateur d'un groupe de rap amateur sortira des sons décents pour le quart de ce budget. La première raison est tout simplement d'ordre économique. Mais les bluesmen du sud? Ils étaient pauvre comme tout, pas une tune, pas un copeck!
Soit, mais une guitare à l'époque du début du phonographe restait un investissement solide, une source de divertissement et de distraction intarissable, inépuisable car liée à la seule volonté de son maître. Maintenant en premier sur la liste des désirs viendraient des matériels électroniques permettant une distraction rapide, des consoles de jeux, des vêtements de marque à la valeur instrumentale très importante dans les milieux plus modestes. L'échelle de valeurs et de priorité à changé dans les pays développés depuis les années 30.

2) La maitrise technique des instruments, sans avoir la prétention de devenir un virtuose, pour jouer, il faut savoir plaquer quelques accords. Pour les apprendre, de deux choses l'une: soit on se paye des cours et cela revient à accroitre la barrière financière, soir on fait l'autodidacte en apprenant avec des copains-copines qui savent en jouer. Cette conjecture n'est pas sure dans les milieux défavorisés où le fait de pratiquer des activités musicales n'est pas courant, l'accent étant mis sur les activités sportives, moins couteuses, et ayant le mérite de fatiguer l'enfant, le calmer et le laisser se défouler loin des milieux confinés. La performance sportive est plus appréciée par les pairs dans la rue, ce succès d'estime garantie aussi une sécurité, et aussi, qui sait, une source de revenus énormes si le gamin joue bien au foot. Carrière considérée comme plus rentable par les parents que la vie de bohème d'un musicien (ils ont vu ce qui était arrivé à Elton John). La vue de ce constat nous amène logiquement à une autre raison.

3) Un environnement culturel et social peu propice, comme l'a exposé Pierre Bourdieu, le comportement de l'individu en société est déterminé par ce l'on appelle "l'habitus" (ahah, très marrant de jeu de mot, bravo bande de génies). Cette notion recouvre tout l'ensemble de savoirs que l'individu a acquis durant sa jeunesse: ses connaissance, ses valeurs, son éducation, ses bonnes manières, reflets de l'éducation donnée dès le plus jeune âge, ils influent directement sur le comportement et les goûts. La majorité des enfants n'ayant jamais été exposé à de la musique rock auparavant, ils ne la connaissent pas, et ont moins de chances de l'apprécier que des enfants habitués plus tôt. Même si votre serviteur ne croit pas au déterminisme social pur (on peu toujours ressentir un choc esthétique à tout âge, une révélation). Il est vrai que si les ponts sont coupés et les gens enfermés dans un style musical de prédilection, unanimement accepté et encouragé, valorisé par la société locale, la marge de manœuvre est d'autant plus faible (haha, dédicace R&F). J'ai moi même grandi en banlieue parisienne proche, pourtant assez classe moyenne où la norme était le rap. Le premier morceau de rock contemporain entendu devait dater de mes 15 ans. Ce qui est tard dans le développement des goûts musicaux, dans un monde où les majors tentent de vous mettre tout et n'importe quoi sous le nez, et ce, le plus jeune possible.

4) Le processus d'identification aux artistes tiens lui aussi un rôle important dans le fait de getthoisser les styles musicaux. La musique et sa diffusion sociale ne tient pas seulement au fait de l'écouter, un processus d'identification liée à l'image de l'artiste s'enclenche alors. Les fans vont se comporter et tout faire pour ressembler à leurs artistes favoris. C'est de ce processus que découle en partie l'envie de créer un groupe en commençant, manque d'expérience oblige à reproduire ce qu'il connaissent déjà.
Il est vrai que la scène rock actuelle, montrant des petits blancs issue de la classe moyenne-bourgeoisie parisienne défendant des idées, des valeurs complètement différentes du monde dans lequel ils évoluent. Ils préféreront se tourner vers des rappeurs français ou américains, défendant des valeurs, des idées et un style de vie auxquels la plupart aspirent. Ils vont donc créer des groupes de rap par envie et imitation et continuer à nourrir une auto-alimentation étanche de leur famille musicale. Le processus est strictement le même pour les rockers.

5) La difficulté fonctionnelle et physique du groupe de rock. Dans les faits techniques et matériels, la fondation d'un groupe de rock en France actuellement est un vrai sacerdoce. Beaucoup de jeunes sont vite lâchés par les MJC, ennuyées par tant d'espace à céder dans leur structure pour que quelques groupes puissent jouer. Le fait d'éviter la nuisance sonore d'une batterie est une priorité pour beaucoup de mairies. D'où la nécessité en environnement urbain de se payer des heures de studio insonorisé. Le fait de transporter le matériel est lui aussi très compliqué, il implique au moins une voiture ou une bonne dose de courage et de force physique.
En bref, les emmerdes quotidiennes sont démultipliées, décourageant les plus convaincus.

Ce ne sont que les raisons principales concourant à un tel désert dans le paysage du rock et plus largement de la musique telle qu'on la connait en France. On pourrait en citer d'autres comme l'image véhiculée par les médias, le poids de l'inertie sociale et les différences culturelles entre modèles français et anglo-saxons.

Voilà, c'était la fin de ma minute CNRS, vous pouvez retourner à vos lectures habituelles, ou aller checker ça (ce qui serait un peu plus utile).