C’est toujours plus drôle quand c’est finalement ces beaufs de undeads squatteurs de Mall qui raflent le pot, arrachant au chrono dans d’ultimes efforts les derniers nichons des héroïnes jailbait- yankees- hystériques qui malgré le fait qu’on puisse se procurer un Glock en allant signer un contrat d’assurance n’arrivent pas à charger une Kalachnikov alors qu’un africain de 10 ans défoncé à l’héro aligne des pièces de cinq centimes à cent mètres sous 40 degrés en matant le dernier Desplechin sur son laptop.
C’est là sans doute l’avantage des undeads d’écouter du garage malgré leur lenteur sans doute causée par des décennies à se faire chier vivant à écouter MGMT et les Fleet Foxes en pensant que peut être le prochain White Stripes ne sera pas trop mal et qu’on pourra prendre le Noctilien ou rouler bourré en Velib en l’écoutant sans avoir honte.
Les zombies sont les vengeurs magnifiques, parangons ad patres de mythologie punk (la seule). Comme tous les autres badass qui ont essayé un jour de changer le monde et ont finis crevés ou retirés à fumer des joints de thaïlandaise dans des vallées californiennes, les damnés sont les justiciers rock n roll post mortem...
Aussi, à l’image de Matt Murdock qui écoutait sans doute Ben Harper avant de devenir DareDevil et passer cash à du Dick Dale en lattant des techniciens braille d’ascenseur, ou Johnny Blaze, forain foireux fan des Eagles, transcendé en Ghost Rider broyant l’asphalte et hurlant du Monster Magnet, on serait étonné de savoir ce qu’écoutent ces anciens bobos quechuas en poussant leur caddie et en bavant d’inextinguibles diatribes (qui pourraient s’apparenter à du Birthday Party en yaourt). On serait étonné de retrouver dans leur Ipod de chair, pelle mêle, ni plus ni moins que du Link Wray, du Hasil Hadkin ou du Teenage Jesus and the Jerks. Ces goules sont la représentation sordide du prix à payer, notre purgatoire et notre apocalypse en somme, étape ultime avant d’accéder à la teuf ad vitam aeternam avec open bar Corona, schoolgirls 60’s lascives et battle slam Adolf versus le reste du monde. Quoiqu’il en soit, on y passera tous un jour, et, forcé d’écouter les Ramones en titubant de notre jambe en lambeau, on arrachera nous aussi fièrement les guiboles magnifiques de nos anciens pairs qui pensaient tout comme nous que tolérance faisant loi, on pouvait écouter impunément Coldplay en faisant ses courses de thé japonais au dailymonop du coin.
Voila comment j’en viens au gun club, car finalement s’il devait y’avoir une divinité testamentaire en un au delà zombie, c’est sans doute Jeffrey Lee Pierce et son gang cannibale qui porterait dignement le flambeau salvateur, haranguant les cohortes boiteuses à aller bouffer les oreos des derniers salauds qui pensent encore que Queen est un groupe respectable. Leur histoire est donc un peu la notre, tantôt glorieuse, tantôt poisseuse, d’une rédemption incertaine. Ici, c’est de malédiction dont on parle, cette même malédiction du génie qui fait encore mouiller la lettreuse en robe-baggy et vans, persuadée que le génie est beau, adolescent, torturé, mélancolique, forcément rimbaldien. Non le génie est gros, sent la pisse et la mauvaise piquette, le génie porte les stigmates de son rayonnement, le génie est un martyre ordinaire, ni plus ni moins qu’un monstre parmi les autres. Cet horrible génie là meurt dans l’indifférence, ayant égrené comme des chapelets des giclées acides de blues blanc dans les bars de L.A, défié le diable avec imprudence afin d’entrevoir un royaume de secrets non révélés. C’est aussi ca être un génie, ne plus être pilote en son navire et naviguer les yeux bandés un étage en dessous de la ligne consciente de flottaison…
Alors que les années 80 et Mtv s’évertuaient rigoureusement à digérer et à vomir sous la forme ignoble des Clapton, Vaughan and co les derniers vrais vestiges de toutes les quêtes de rédemption et de transcendance (le Crossroads de Johnson, l’illumination et la philosophie de Crowley etc), ces fossoyeurs à l’image des Cramps dont ils ont un temps partagé le guitariste Kid Congo Power, s’amusaient en toute impunité avec la sous culture pop/tribal américaine, reprenaient Hasil Hadkins , Elvis , se grimaient en pin up de
Dirions nous que c’est peut être ça le truc blues authentique, une guitare seule, ivre, trébuchant sur les notes dans des soubresauts convulsifs d’aigus et de graves, des slides paresseux voilant les notes et les énervant jusqu’au mince file tendu de leur agressivité, de leur délicate ultra violence. Aussi le gang De Jeffrey Lee Pierce prêchait le blues, donnant à boire dans des coupes sanctifiées le ventre mou de l’Amérique du Mardi Gras, de Salem et des troubadours cajuns, hurlant à qui voulait l’entendre les psaumes écorchés des terres rouges et les comptines hillbillies de pauvres bougres venus voler le soleil et invoquer la pluie. Le gros Jeffrey jouait à réveiller les morts, pillait les tombeaux des grands mythes nègres, dansait dans des cercles de feux en marchant pieds nus sur les dernières braises incandescentes de la désillusion punk.
Il faut entendre sa voie s’enrouler et percuter à pleine vitesse les lignes de riffs épileptiques de « Sex Beat » qui introduit l’album, décrivant l’attraction malade des corps, la danse convulsive des amants au bord des piscines de motel dans la moiteur du sud californien. Il faut capter l’énergie primitive, tout ce sang qui irrigue le cerveau. Musique déraisonnable, blues psychobilly indécent joué les tripes à l’air devant les falaises. « Preaching the Blues » (repris de Son House) annonce la couleur, c’est un sacerdoce, une quête de sens, une irrépressible ascension profane. Jeffrey s’égorge, fait face aux démons des grandes plaines en chevauchant les arpèges comme autant d’Hurricane cocktails avalés à la volée dans un bar de
L’hypnotique bottleneck de Kid Congo entre à nouveau en éruption tandis que Jeffrey retrouve son groove insolent sur le brulot suivant. Si Morrison hurlait touche me, c’est la pointe de l’aiguille qui touche ici sur « She’s like Heroin to me », et à l’amour (physique ou pas) d’être une addiction de plus, une source violente d’extase et une irrépressible chute (« she’s like heroin to me, she can not miss a vein »). Et le prêcheur fou de dégainer à nouveau ses grigris de marabout sur « For the love of Ivy », tribute furieux à la déesse des Cramps ensorcelée où le groupe fait le lien avec ses pairs, la boucle est bouclé, (« You’re just like an Elvis from hell. »). Il en faudra peu après au Pierce pour s’aventurer et se perdre dans un mysticisme païen, descendre dans les enfers après avoir traversé le Styx sur un radeau d’opiacé, voir si Elvis jamme avec Johnson ou si Hendrix tricote des notes de Stratocaster avec des morceaux de lave en fusion.
La verticalité prend ici tout son sens, à la fois Orphée et Prométhée, Jeffrey dégringole dans les abysses et gravit les volcans, portant des coupes de feu et se faisant voyant sur « Fire Spirit » (« I can see clearly from my diamond eyes »). Aussi, cet état révèle les fantômes des larrons maudits qui hantent les tableaux de l’Amérique, voyageurs crucifiés, vagabonds errants écorchés par la vie, zombies d’interstates laissant des trainés de souffrance et de mauvaises histoires. Comme sur « Ghost on the Highway », le furieux « Jack on the Fire » ou le presque goth « Black Train », Jeffrey embrasse à la mort ces spectres qui sont les mythes de l’Amérique alternative, se confondant en bluesman alligator sur l’inquiétant « Cool Drink Water » pour finir dans un dernier soubresaut rock n roll avec « Goodbye Johnny » comme il a commencé, en conteur amoureux et damné.
Un zombie d’opérette finalement que ce Jeffrey, le genre qui pourrait dire des vers de Bukowski en laissant filer sa rage comme un train de nuit dans lequel pioncent encore quelques clodos célestes, arrachant à la lune des histoires à dormir debout. Jeffrey après cela devancera sa propre réincarnation anthropophage et contrairement à Huysmans choisira la bouche du fusil au pied de la croix, c’est quand même beaucoup plus rock n roll.