L'inde occupe une place à part dans le panthéon des imaginaires du rock.
De la période indienne d'Harrison à la grande utopie Woodstock, on a souvent lié ce pays au mouvement prog' et hippie, joints chargés, patchouli et atonie à tous les étages. Des hordes d'occidentaux partirent pour Pushkar et son lac sacré, certains sont restés et sévissent toujours, en peignant sur des serviettes éponges d'atroces champignons hallucinogènes hilares fluorescents faisant la ronde.
Vous l'aurez compris, ils se trompent. Les Indiens se foutent royalement de toute notion de musique rock.
Je revois encore Kooldip (aussi sympa en vrai que son prénom) faire une petite moue embarrassée sur les plus grands titres des Beatles et jubilant la seconde d'après sur une espèce de merde RNB indienne suraiguë saturée de vocodeurs et de violons électriques.
Autant le dire tout de suite: J'ai compris que le rock hindou était une douce illusion occidentale entretenue par Ravi Shankar, feu Georges Harrison et Anton Newcombe. Tous d'excellents musiciens mais déformant allègrement la réalité (n'est-ce pas d'ailleurs pour cela qu'on les aime autant?).
Il manquait une synthèse, un curry adouci, un tandoori délayé dans un peu de crème fraîche au milieu de cette violence auditive.
C'est heureusement chose faite avec Cornershop (ou l'épicier du coin pour les non anglophones), un groupe monté par deux anglais d'origine indienne. Leur démarche, aussi complexe et variée que drôle (imaginez un rappeur choisir pour blaze "L'arabe du coin de la rue"...). Dans cette formation, les frères Singh s'adjoignent deux autres anglais pour touiller ensemble rock, musique indienne traditionnelle, musique électronique, et parfois RNB tendance vieille soul.
N'ayons pas peur des mots, l'album ouvre en trombe avec une charge aussi choquante que monumentale et bien exécutée, elle a pour nom "Who Fingered Rock'n'Roll". Les cithares aussi fainéantes qu'acérées soutenant un chanteur moderne sur un fond de guitares coupantes outrageusement 60s couplé avec des cœurs évadés d'un double album d'AC/DC, tout est juste irréel.
Le clip est un petit chef d'œuvre à lui tout seul, merci Claude.
Le deuxième morceau, s'ouvre avec autant de facilité et de joie de vivre que le premier rot d'un nouveau né. Ce titre nous embarqué vers un univers pop pscyhé accessible.
Un asile qui n'est pas situé dans la chasse gardée des stoners. Un vrai moment d'hindi pop (aha indie pop...ok) relax et décontracté. Le genre que l'on ressent sur le chemin de l'école par beau temps, les frères Singh vont à la "Soul School", la meilleure, celle où une interro surprise ne vous attend jamais.
Place à présent à ce que l'on pourrait qualifier d'interlude, "Half Brick", la naissance de l'interlude soul-funk tribute, du jamais entendu, à part sur quelque chanson oubliée de Pepe Deluxe.
Place maintenant à la chanson éponyme de l'album, "Judy Sucks A Lemon For Breakfast".
Un titre, qui, rien qu'à la lecture est vecteur de nombreuses promesses délicieusement implicites.
Ne laissez surtout pas votre imagination lubrique prendre le contrôle et penchons nous sur le cas de cette chanson. Une œuvre magnifiquement et délicatement ouvragée où se mêlent toutes sortes d'instruments clarinettes, violons, percussions, grandes harmonies vocales, trompettes,guitares dans une farandole aussi fine qu'équilibrée.
La chose est loin de l'ambiance bal musette Benabaresque que l'on pourrait s'imaginer.
C'est dans ce genre de moment que la pop anglaise habile évite les écueils de notre nation dérivant vite vers la Bourrée Berrichonne.
La ligne de basse gironde et les aiguillions électriques divers ont vraiment tout pour flatter nos oreilles fatiguées. Puis ce texte, que veut-il dire ? Quel est ce citron qu'elle suce au petit déjeuner, quand Jojo boit tout le jus du matin? Mystère.
A rajouter dans les inclassables de cet album "Shut Southwall Down", qui est une sorte de medley dance indianisant reprenant une conversation téléphonique en espagnol dans le texte.
L'influence indienne se fait plus évidente sur les mélodies décalées et ternaires de "Free Love". Chantée en dialecte local (avec le phrasé bouleversant du jeune premier de Bollywood, tous ces Deepaks, Dickeshs et autres Ravis chantant sur le toit des trains ou tout simplement dans l'espace) sur fond de violons et cithares.
Bonne chance pour comprendre le fond du texte, si vous n'habitez pas le quartier de la Chapelle ou si vous ne sortez pas de langues O'.
La magie opère sur "The Roll Off Characteristics (Of History In The Making)", les trombones tous droit sortis de Sergent Pepper ouvrent le bal aidés de cithares et de piano.
La chanson est constamment saupoudrée de petits riffs se mélangeant aux instruments avec virtuosité. La basse charpente tout le morceau et ajoute encore au joyeux et adroit bordel (dieu, ce piano!).
Sans aucun doute, ce groupe appartient bel et bien à une école mélodique anglaise de haute tradition (comme certaines bières d'abbaye).
Les musiciens ne perdent pas la main avec "Operation Push", une chanson si cool qu'on la croirait échappée d'une BO de Shrek ou d'un film de Judd Apatow. Les tresses d'instruments divers se mêlent aux discours de pasteurs évangélistes, on ne sait plus d'où sortent tous ces petits chocs et ces buzzements, cette montagne de micros sons. Les fab four évoqués dans le texte ne sont vraiment pas loin.
"The MIghty Queen" commence de manière plus traditionnelle, on sent que T-Rex n'est situé qu'à quelques décibels au dessus. Voilà du bon pop rock, pas le genre de daube qui traine sur OUI FM.
La piste suivante "The Constant Springs" est une envoutante mélopée vintage, elle débute sur le même riff que "In The Streets" de Big Star.
Ce titre sonne comme qui si vous jouiez à Pong sur votre Commodore, muzak à fond, en calbut' les pieds posés sur votre table basse en formica, un pétard aux lèvres le dimanche matin. Et oui, le bonheur tient à peu de choses.
La chanson suivante s'apparente déjà plus à la pop indienne jouée sur les transistors saturés et suraigus des bouges de Delhi et de Bombay. Les instruments tintinnabulent et les mambos tapent sur "Chamchu" (wtf).
Le folklore indien ne nous quitte pas non plus sur The Turned On Truth (The Truth Is Turned On), il rejoint même des cœurs soul tout de velours vêtus. Un peu plus et on se croirait au Live 8. Le signe que ce combo ouvert à tous les sons est fan de musique noire.
Les cathédrales d'harmonium et de claviers sont tout bonnement affolantes, se déploient et se déroulent comme par magie, un peu à l'image de ces économiseurs d'écrans à formes 3D multicolores qui rendent fous passé quelques secondes d'exposition oculaire.
Oui, c'est cela que nous Livre Cornershop, le psychédélisme du quotidien.
Ces jolies petites choses, si infimes et décalées, qu'elles charment autant qu'on les oublie en un seul éclair. Charge à vous, chers lecteurs, d'en garder le souvenir ému.
mardi 13 octobre 2009
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