lundi 2 mars 2009

Les derniers libertins

C'est bon? la poussière est-elle retombée? Les vautours sont-ils repus? Les cadavres un peu moins tièdes ?
Le curé hypocrite a fini son oraison funèbre dithyrambique , comme d'habitude et les paroissiens sont repartis, un peu déçus, avec un goût de cendres et de formol dans la bouche.

Il est enfin temps, mes amis de se pencher sur l'épitaphe, encore frais sur la pierre tombale.
Cet épitaphe, c'est tout simplement "Up The Bracket", portant en bandoulière les émeutes argentines (c'est simple, elles arrivent tous les quatre ans, comme la coupe du monde de football, elles sont suivies avec tout autant de ferveur par la foule en délire, remplacez les rencontres de niveau international par un scandale financier liant des politiciens verreux ou alors la énième dévaluation du pesos et vous aurez le tableau complet).
C'est considérations politico économiques passées nous allons pouvoir nous pencher, avec l'amour alcoolisé du fossoyeur sur ce fameux tombeau.

Que renferme-t-il? Une dépouille pourrissante? Quelques joyaux ternis et désuets? Ou la raison de l'état de décrépitude (physique et musicale) avancée de notre ami Peter Doherty?

Ce sont les questions auxquelles nous allons tenter de répondre. Laissez moi juste le temps de prendre un cachet de Vicodin avec une lampée de Vodka pour me mettre dans le bain, furieux et vaporeux de cet album.
J'en profiterais pour oublier aussi tout le mal qu'on dit les principaux intéresses par la critique précédente sur les Libertines.

Car oui, à l'époque nous étions en 2001, et en 2001, il n'y avait aucune odyssée en vue, et en guise de voitures volantes, juste quelques avions qui rentraient dans des tours, sans tuer un seul des Strokes.
Mais là n'est pas le débat, surtout après une demi bouteille de Gamay supplémentaire, mes compétences en termes de géopolitique deviennent plus qu'approximatives.

Parlons musique à présent. La foudre tombe du ciel d'entrée avec "Vertigo", une petite comptine électrique buzzante, douce,du genre que l'on hume en se balladant dans les rues de Londres, les soirs où il fait froid et ou l'air tiède sort des lourdes portes à battant des pubs et des bookies. C'est de ça qu'il s'agit, de nuit et de canailles, d'une pauvre pute, Koreema qui fait le trottoir et ne sait pas ce qu'il passe et eux, sont là. Montent avec elle et se barrent dans les escaliers en riant se poussant dans les poubelles, accrochés au dessus du vide. Ils ne savent pas où ils vont, suivent leurs guitares et s'évanouissent avec le dernier bus de nuit.
Mais ces petits cons se réveillent le lendemain sur "Death On The Stairs", romantiques en diable, parlant de sentiments et de rires. On la sent la patte du producteur - Clash Mick Jones, les solos de guitare rachitiques et les chœurs sucrés. Aussi doux que ces historiettes diaphanes.
Ne nous laissons pas berner, même Si Carl Barât, Peter Doherty, John Hassall et Gary Powell paraissent être de jeunes garçons charmants, ils peuvent retrouver à tout moment la voix rauque du hooligan de Old Trafford. Les guitares des deux frontmen peuvent aussi sonner comme un mur de tronçonneuses sur la chanson bien nommée "Horrorshow".

Cette formation n'est plus un groupe, c'est un monstre, un Dr Jekyll et Mr Hyde qui se cache, se grime et redevient sage. Une tranche d'Angleterre ancienne, un royaume que nos compères on décidé d'appeler Arcadie, où tout serait beau et poétique et le Earl Grey servi à 5 heures sharp.
La preuve en est sur "Time For Heroes".Cette chanson parle d'émeutes et de gosses bien sapés défiant les flammes et la nuit, des gavroches des temps modernes, amoureux de la cause et prêts à mourir pour elle. C'est dire qu'ils sautillent entre les corps et les cailloux nos amis, aussi nonchalants que leurs parties de guitares et déboulonnés comme leur batterie (fait assez rare pour être souligné ici). Et tout ça pour finir par terre, la faute à Thatcher.
Plusieurs siècles ont passé et les muses s'appellent à présent des groupies, au combien dévouées, mais si peu distinguées. Qui se dévoue pour guider les pauvres égarées? Peter et Carl, les "Boys In The Band", les chœurs et les canons de répondent, entre deux ratures de guitare acides virevoltantes.
La leçon donnée, nos compères se recouchent et se posent, ralentissent le tempo et grattent la sèche comme grand papa. En sort une amourette trash 1900, "Radio America" romantique et romanesque, chantée par Oscar Wilde lui même. Un ange passe.

Pour s'écraser en flammes quelques minutes plus loin, la batterie de Mr Powell sonne toujours comme une boite de Mont d'Or, on dirait celle des Red Hot. Les guitares tapent dans le bide fort, comme des chavs en hoodie, les voix sont distordues. Les chanteurs hurlent comme le personnage de la chanson, un petit gars qui se brûle les ailes auprès de caïds locaux, pour finalement finir droit et raide devant un convenience store glauque.
Le pouls se recalme, les chansons de cet album sont superposées douce et dures, un bout de brique du sussex après chaque gousse de vanille. C'est une montagne russe mentale.
"Tell The King" arrive sec mais trompe son monde, point de revendications ici, on est toujours chez Peter et Carl au pays des merveilles. De plus, la chose est dite clairement, ces loyaux sujets s'imaginent un roi en lieu et place du sympa, mais mou, et toujours deux pas derrière sa femme prince consort.
On s'attardera ici sur les mélodies chantées, touchantes et simplissimes. A la troisième minute on se croirait dans du Nerval, au milieu de ruines chantées par les fils des Beatles (période album blanc bien sur). Les hauts le cœur soniques continuent, le cirque est loin d'être terminé.
Nos semelles anglaises quittent la mousse des sous bois et foulent le parquet laqué d'un pub, pour retomber à pieds joints entre une partie de fléchettes, une tournée de Lager et une partie de billard. Le titre proverbial "The Boy Looked At Johnny", une putain de chanson, débaroulant à 100 à l'heure, la bouche pâteuse et les guitares délivrant une gigue folle. Une anecdote de pilier de comptoir spontanée sacrément rock and roll du meilleur ton.

Conformément au schéma de montagne russe mentale précédemment exposé, la piste d'après redémarre lentement. "Begging" commence donc par une batterie solitaire et autiste enregistrée dans des chiottes de pygmée, avant que les instruments ne se mêlent à la partie. La chanson démarre véritablement à mi parcours pour vous déverser un flot électrique, la bande et à genou et implore l'auditeur de leurs voix de gosses.
La chanson suivante annonce une petite modification avec une intro groovy trompeuse, ciselée par John Hassal (décidément, la section rythmique est la plus réglo de la bande). Les zozos de frontmen ont la place pour caser leurs voix et leurs petits arpèges qui mutent et se transforment en accords mélancoliques. Après tout, ce sont leurs "Good Old Days", mélange de tendresse et de blagues de gamins.

Alors la les amis, l'affaire repart, et nous tombe dessus comme un missile Taepodong 2 nord coréen: un grand froufroutement dans le ciel, un tapotement de moteurs et le feu nucléaire communiste d'un autre âge vous vitrifie sur place. La seule chose qui reste de vous est vote ombre imprimée sur le macadam. Peter nous chante que le diable est de son coté, pour le coup il doit être dans sa guitare (qui est le petit malin qui a dit dans son slip?) et on veut bien le croire.
Bon, ben je vais commenter à présent les bonus (les pauvres qui ont le pressage à 12 pistes vous pouvez vous casser et enfin arrêter de reporter ce rendez vous avec votre conseiller carrière de l'agence pour l'emploi la plus proche, tout ça pour lire ce blog de merde).
Oulà ça soulage. Trop de vin. Perte de contrôle éditorial de ma part, je m'en fous, je le laisserais même à la relecture.

Un verre de vin plus loin, un verre de trop: *switch Godard* Mais faut l'dynamiter ce putain de rythme textuel et syntaxique, vas y, innove, écrit comme tu l'sens, caméra à l'épaule, à bout d'soufle quoi, c'est la vie qui se déroule là.
"Waister", c'est d'abord le western sur les bords de la Tamise, c'est un accord qui commence, qui sort d'on ne sait où, puis le pouls se durcit et s'accélère. C'est la ville mon gars, les gosses dans les squats et le gachis. Les violons 1920 distordus, dramatiques, ces crincrins pleurnichards, ce sont vos coeurs, mes amis, rouges et romantiques. Ceux que les libertines titillent allègrement.
Ce moment de déchirure émotionnelle se termine comme il a débuté, avec un buzz de jack bizarre.
La dernière chanson, un petit intermède acoustique tout droit sorti des plans transition de Friends se transforme en chant égosillé de pochetron qui finit sous la table. Touchant ou pathétique, on ne sait plus très bien, mais simple et sans chichis, ça, on en est certain.

Voilà, le roi et sa cour sont passés, les libertins jugés, dispersés et condamnés. La foule prendra plaisir à voir leurs têtes se balader au bout d'un pic. Nous nous consolerons avec cet album et nous lirons leur poésie. En s'extasiant devant la beauté de leurs ratures, comme des Salieris de bas étage.

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