L’âge aidant, j’ai fini par comprendre ce que ces gens avaient de si génial.
On pensait en cette fin des années 80 que le rock était définitivement mort, enterré dans les cendres froides du punk, devenu une caricature de lui-même, la new wave passée.
On attendait des gens, il devait se passer quelque chose, quelque part, le grunge n’était pas encore là, le heavy metal et le hard rock ne bouleversaient vraiment que les bikers moustachus et les teenagers en mal de rébellion.
MTV diffusait ses premières émissions estampillées d’un logo fluo.
Une fois de plus, une bande d’étudiants appliqués (on se souvient des Wire et des Gang of Four) vont redonner le goût de vivre aux amateurs de saturation sonique.
Cette guitare distordue et blessante, ces paroles de malade mental et cette noirceur étalée était déjà l’apanage de la scène alternative américaine de l’époque (Sonic Youth, Hüsker Dü) mais jamais aucun groupe ne l’a autant poussé dans un registre plus pop comme les Pixies (lutins dans le texte).
Doolittle est le troisième album du groupe, celui de l’entrée dans des premiers charts européens.
La première chanson de l’album « Debaser » concentré d’énergie, scandée par le gros Black Francis avec une voix rauque de malade mental illuminé ivre d’action.
En remettant en perspective l’œuvre des Pixies on s’aperçoit que cet effort est délibérément pop avec des mélodies plus accrocheuses, touillées à grands coups de guitares punk décharnées et surf à la fois (Joey Santiago, intéressant guitariste). Les chœurs diaphanes de la très cool et très douée Kim Deal et ses lignes de basses ingénieuses y sont aussi pour quelque chose. On écoutera pour s’en convaincre le très plaisant et original « Here Comes your Man » (personellement j’y vois un hommage au Velvet).
Mais ne nous y trompons pas, Doolittle est bien le petit almanach des perversions et horreurs modernes, la basse et la guitare oppressante de « Dead » illustrent parfaitement la rythmique Pixienne, faite de couplets calmes et contenus et refrains débridés complètement dingues, un autre bon exemple, plus noir celui-ci est « Tame ».
Comment ne pas citer, et je pèse mes mots, le monumental, l’atlantique au sens grec du terme « Wave of Mutilation » où Francis le noir vous dévoile en un murmure de confession nocturne son projet de fuite sans retour : « Je fais mes adieux, je jette ma voiture dans l’océan, vous penserez que je suis mort, mais je naviguerais sur une vague de mutilation, vague de mutilation… ». Une saison en enfer, ni plus ni moins.
On enchaîne avec une mention spéciale sur le chorus pété par Kim Deal sur « I Bleed ».
Les obsessions mystiques du gros poète s’expriment avec brio sur la balade violonée, très justement intitulée « Monkey Gone to Heaven ».
L’amour aussi trouve sa place dans cet effort avec un morceau un peu convenu « La La Love You » mais toujours agréable où tous les membres du combo vous déclarent tour à tour leur flamme.
Pour le côté excentrique du sentiment on s’intéressera à « Hey », chanson au titre proverbial mainte fois reprises où il est question d’amour et de prostituées.
Bien que plutôt froids et sombres, les bostoniens sombrent par moments dans un rock aux accents latinos style Clash période London Calling - Sandinista - Clash Black Market, « Mr Grieves » aux mélodies mexicaines, « Crackity Jones » chantée en Spanglish (c’est aussi le cas de « No. 13 Baby ») et soutenue par un rythmique à tout casser (mention spéciale à l’endurante batterie de David Lovering).
On continue dans le coté western avec « Silver », que l’on jugerais échappée d’un disque de Morricone.
L’album se termine par « Gouge Away », la chanson préférée de Black Francis pour l’anecdote, je ne suis pas d’accord avec lui mais vous vous en foutez un peu hein ?
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