vendredi 23 avril 2010

Trailer Trash Treasure


Cette journée était pourtant simple. La journée du quotidien, du vrai, du réel. Pas de plans sur la comète, pas de discussions stratosphériques. J’avais signé pour ce genre de samedi.
Deux heures d’auto école et une nouvelle coupe de cheveux.
Ce sont ce genre de journées qui font un bien fou, des leçons d’humilités cruelles et vraies, qui étalent sur votre petite vie leur langueur poisseuse. Celle des endroits où le temps qu’il fait compte vraiment.
Poisseuse comme ton dos sur le siège conducteur de la 307 de l’auto école, poisseuses comme tes mains qui serrent le volant en sky.
Entre deux plissements d’yeux pour tenter de voir si le Renault express blanc de devant risque  de violemment déboiter devant l’échangeur de Maison Alfort, on passe le temps.
On se prend alors à chantonner des chansons qui rassurent, des choses simples, des petites comptines rassurantes.
On les chante aussi pour tenter d’apaiser Jean Claude, le proverbial moniteur d’auto école, qu’on a l’impression de déranger pendant 2 heures.
Même si il est très cool et très patient, on sent que quelque chose ne va pas chez lui.
Un type qui allume ses Dunhills avec un briquet tempête à flamme bleue et se désaltère dans un mug en inox a forcement un grain quelque part. Tu n’emportes pas tout un matos de trek dans une bagnole par hasard.
Et puis toi, l’impétrant, tu chante ta petite chanson, de la manière la plus basse et la plus minable du monde.
Mais qu’était-elle, cette fameuse chanson ? A quel genre d’arbre un babouin comme toi pouvait-il trouver des branches assez solides auxquelles se raccrocher dans ces moments de doute ?

Et bien oui, c’étaient les Eagles of Death Metal. Leurs rengaines plus basses que terre et sans prétentions se prêtaient à la situation, à l’instant sublime aussi dramatique que grotesque du créneau.
Et la chanson que tu chantais était «I Really Wanna Be In LA ».
Car sur le coup, sur le moment, c’était vrai, ça avait du sens, tu voulais vraiment être à Los Angeles et ne rien foutre sur Venice plutôt que de suer sur la A 86.
Ah oui, petit lecteur meurtri, comme je te comprends.
Mais reprenons les choses comme elles sont afin de ne pas décevoir nous visiteurs ponctuels (qui de toute façon, ne reviendront jamais).

Les Eagles of Death Metal se sont montés autour de deux leaders charismatiques. Le premier étant Josh Homme, batteur de son état et l’un des gourous du desert rock, un véritable colosse de 1m 94.
Le deuxième (et plus important) taulier du groupe est Jessie Hugues, un roux moustachu magnifique ami d’enfance de Josh Homme, que ce dernier décrit comme étant un membre de la NRA, addict au porno et à la Métamphétamine.
Autour de ses deux personnalités aussi particulières qu’intéressantes sont venu se greffer plusieurs intermittents du spectacle capable de gérer en live les débordements ou les absences assourdissantes de ces deux zigues.
Ils s’appelent David Catching(guitare) Brian O'Connor(basse).
Mais tout cela n’a guère d’importance, ce qui a de l’importance, c’est ce troisième album mirifique  et cela pour deux raisons : la première, musicale que je vais mal vous décortiquer bientôt et la seconde picturale et sémiotique : le rapport signifiant/signifié de la jaquette étant proche de la perfection.

L’effort commence sur “Anything 'Cept The Truth”, les handclaps qui entament cet album sont si honteux et la guitare si fainéante que le fantôme de Marc Bolan lui-même n’aurait pas osé les jouer. Ces cœurs tous droits sortis d’un album oublié d’AC/DC et cette guitare crasseuse annonce la couleur. On est clairement ici dans le but de racler le dernier bac à friture du dernier burger shack de ce côté ci de la cote. Et le tout en pleine nuit, le sourire aux lèvres, dans un dernier break de batterie avant le petit jour. Peut importe ce que le policeman vous demandera sur le bord de l’autoroute, vous lui direz tout sauf la vérité.
« Wannabe In L.A », le tube de l’album est encore plus obsédant, tout d’abord ce son de boite à musique à manivelle annonçant ce riff de guitare dédoublé et fuzzy, ces baguettes transformés en claves jouant sur les arceaux, rien n’est normal dans ce morceau. Sauf, peut être les paroles consternantes de classicisme et de stupidité.
« (I Used To Couldn't Dance) Tight Pants » est elle parfaitement normale lorsque que l’on connait le style vestimentaire du chanteur plus que près du corps. Cette chanson sonne comme l’une des Black Keys que l’on aurait staffé à la manière d’un groupe de soul ignorant, reprises chantées faciles et autres farces rythmiques fallacieuses à savoir des ponts et des contretemps alternés. La chanson suivante, « High Voltage » est tout aussi outrancière. On ne parlera même pas du titre, pillé à AC/DC ou encore Electric Six. Les pédales ne font pas tout sur des guitares et même si elles sont rondement bien menées, on passera vite à la chanson suivante.
Cette dernière s’appelle « Secret Plan ». Ne vous moquez pas un instant du titre, cette chanson est tout bonnement fondamentale. J’aboutis à ce jugement par le biais de deux conclusions simplistes et vraies.
La première est que peu de batteurs de Garage rock osent démarrer une chanson à un tempo si rapide.
La seconde réside dans le fait que rarement la guitare est si maitrisée, à la fois entrainante, sure et mutine. Ce genre d’attaque et de maîtrise n’est pas produite par le premier tâcheron venu. Ce serait vous insulter que de vous parler plus en détails de ces ponctuations de notes lustrées et de cette voix magnifique, collant parfaitement  au reste de l’ensemble.
On va de calmer un peu et se laisser aller sur la piste suivante. « Now I'm A Fool » ralentit le tempo et nous laisse le temps d’humer l’air tiède d’Hollywood.
Les palmiers, le soleil, le bonheur, les pierres blanches poreuses et indolentes qui chauffent au soleil, éclaboussées par l’eau chlorée des piscines. Rien de tout cela n’est vrai, et bien idiot serait le premier à croire ce qu’il voit sur les collines boisées. Les kids de Palm Desert le savent bien et nous mettent en garde, presque avec tendresse et mélancolie. Comme si ils avaient renoncé à regret aux rêves que leurs dessins animés que leurs Fruits Loops multicolores et trop sucrés leur auraient vendu.
Le moment est maintenant venu de faire donner la cavalerie (une manie dans ces contrées sauvages du grand Ouest…). « Heart On » vous colle une claque de plus, cette petite guitare contenue et scintillante sur laquelle Jessie pose des voix hallucinantes de finesse et de nuance sans en faire trop. Il monte dans des aigus et tente de suivre des guitares sans même avoir l’air de se donner du mal. Le bougre nous parle de son divorce « Falling in love is a loosing game», on parle du petit théâtre quotidien des apparences, des mensonges consentis et acceptés, de ces petites choses qui vous ronge. Votre couple et vous, sans en avoir l’air. Cette guitare qui se dédouble et passe de petites anicroches électriques à un tapis de fuzz lourde et chuintante. « Cheap Thrills »  répété par un chorus de serveuses de restau route sexy, le regard blasé, ongles peints, cheveux peroxydés et chewing-gum à la chlorophylle au bec.
Le portrait vivant et réaliste de l’Amérique white trash ne serait pas complet sans avoir brossé le portrait du pal’ buvant sa solitude à l’entrée de son trailer park. Un dude de plus, seul quand il rentre du bowling. C’est le constat trainant, triste et amer de “How Can A Man With So Many Friends Feel So Alone”, qui a le mérite d’avoir un titre assez long pour être explicite.
Le tempo retombe et se pose sur des slides de guitares progressifs, long et appliqués : « Solo Flights ». C’est sûr, on descend vers le sud, vers les frontières lancinantes les plus étranges. Personne n’est là, comme toujours, et il ne faut compter que sur soi même.
La chanson qui suit est encore plus pernicieuse et commence décalée, avant que la voix doucereuse (véritable joyaux renfermé dans l’écrin que constitue cet album) de Jessie débarque. La batterie essaye de mettre un peu d’ordre entre deux échardes électriques fades et passées. Les auditeurs éplorés que nous sommes doivent attendre la moitié de ce morceau pour qu’un break misérable apparaisse. Ce morceau fini comme il a commencé, en dérapant dans le vide, comme suspendu à une reverb d’OVNI.
On s’était bien rendu compte que l’issue de cet album a des goûts de fin de soirée, de descente d’alcool et tout ce qui pouvait trainer d’autre.
Il faut maintenant partir, se casser de cette soirée où les dernières filles encore debout essayent de vous alpaguer comme des sangsues amazoniennes.
Il faut partir, votre cerveau vous en supplie. Il faut respirer l’air frais et ne se fier qu’à cette pulsion, se casser, prendre ses jambes à son cou et se barrer.
Avant de faire n’importe quoi, avant de commettre l’irréparable et de se réveiller dans un appartement inconnu, la bouche pâteuse et le nez bouché par un truc qui ressemble à un Curly saveur vomi.
Oui, c’était bel et bien ce sentiment, celui d’être une cartouche parmi d’autres dans la chambre, attendant patiemment le percuteur. Le fait d’être une simple munition, « I’m Your Torpedo ».

L’album est fini. Les démons californiens fatigués. Comme nous. On a pris notre dose de réel, de quotidien. On a respiré le diesel, la bière et la laque à cheveux bon marché. On s’est extasié collectivement sur des corps de silicone et de Photoshop, ça nous a plu.
C’est bien ça la chose que sont les Eagles of Death Metal : un aperçu brut et pure d’une certaine esthétique rock.

Une chose reste sure : c’était un putain de samedi.